Le jeudi 30 novembre 2023, j'étais à la Gaîté Lyrique pour le concert de Grand Blanc, un groupe qui trouve ses racines à Metz, une ville sacrément rock'n roll. "Il se moque là ou pas ?" De toute façon Grand Blanc, même s'il y a des guitares, c'est pas du rock (c'est ça le rock'n roll).
La soirée commence avec en première partie un duo, Adrien Pallot accompagné de Pierre Piezanowski. Le premier est un ingé son (il travaille avec Grand Blanc) et (donc) un musicien qui essaye de repousser les limites de la musique, et le deuxième est un guitariste qui a commencé par le jazz avant de percevoir le son comme de la matière à sculpter. Leur rencontre donne une sorte de shoegaze hyper contemplatif, avec des reliefs profonds et vertigineux, et des delays hypnotiques, comme un Ride duquel on aurait retiré toute essence pop. Rien à voir donc.
On frôle la musique atonale, et de temps en temps quelques tierces sortant de la guitare de Pierre apparaissent grâce au concours de la basse électro d'Adrien : des résolutions inattendues après et pendant un mur de magma sonore où les notes jaillissent de la sonorisation de la salle comme des geysers.
Les dernières notes de la guitare de cette première partie et les premières notes de l'introduction de Grand Blanc se ressemblent comme deux gouttes d'eau. On peut voir Benoît David et Vincent Corbel au-dessus de leurs claviers, pads et machines, et Luc Wagner au centre. Derrière lui, une structure d'aspect rocheux dans le fond, comme une roche de bord de mer. Quelques secondes de sons diffus plus tard, un fade out. Soudain, boum, un projecteur s'allume en haut à droite, tout le public lâche un "OOOOOH" : Camille Delvecchio et sa harpe commencent avec une noblesse sans égal. Quelle claque ! Ça c'est un début de concert. Et le reste n'allait pas nous décevoir.
Les morceaux se suivent dans un tableau évolutif : la scénographie est magistrale. Le jeu des lumières est grandiose au-dessus des protagonistes, dans le fond pour un décor d'étoiles scintillantes et de quasi reconstitutions d'aurores boréales, des projections surréalistes sur la structure rocheuse en resculptent le relief et des lumières au pied des musiciens imitent des feux de bois improvisés sur la plage. Adrien Daoud se joint au quatuor pour un incandescent solo de saxophone, hissé sur le promontoire, dans un halo de lumière jaune irradiant sa performance instrumentale. Chaque titre a son environnement, sa teinte, évolutive entre son début et sa fin. Les effets de brume suggèrent des matins islandais, des stroboscopes apocalyptiques accompagnent notamment l'épileptique et vacillant Isati, des couleurs rougeâtres pour la ballade Beach-Housienne Ailleurs, et la lumière est plus franche pour une version folk psyché de Belleville, originellement leur tube rock, ici avec des intonations vocales délicates et poignantes de Ben qui me rappellent Maxime Le Forestier.
Dans la salle de la Gaîté Lyrique, le public ne fait qu'un avec le groupe. Ben nous explique qu'ils ont été marqués par leur virée en Roumanie, et que ça leur avait donné l'envie de prendre une maison à l'écart de la ville, au milieu de la forêt, à quelques heures de Paris, qu'ils ont transformée en studio pour produire leur dernier album "Halo" sorti en avril 2023. "On avait envie de faire connaissance avec tout ce qui nous entourait, les arbres, les voisins, les animaux, et les fleurs. On a écrit une chanson pour les petites fleurs de devant notre maison, cette chanson est donc une petite fleur séchée, un souvenir qu'on vous a ramené". Ils ont donc une chanson qui s'appelle Fleur. Tout simplement. Oiseaux, aussi. La poésie de Grand Blanc ne sombre jamais dans la mièvrerie. Au milieu du concert, alors qu'elle avait mis les poils à toute l'audience avec sa voix d'une pureté et justesse absolues, Camille avoue : "désolé, depuis le début du concert je fais comme si vous n'étiez pas là, c'est plus facile pour moi..." Le public l'applaudit, l'encourage, la remercie, lui envoie des vagues d'amour. Chaque applaudissement était sincèrement rempli d'amour. Je n'ai jamais senti ça dans un concert. Peu avant la fin, Camille sort un parchemin avec la liste des remerciements du groupe sans oublier la moindre personne. C'est à la fois le groupe le plus mignon et humble et certainement l'un des groupes les plus talentueux de notre époque. Quelle expérience, quelle communion. Waouh. Ce soir-là, on était loin des débuts électro-punk du groupe, désormais davantage à la recherche de textures et sensations, avec un pied dans la nature réelle et douce, et un autre dans un éden mystique parfois presqu'un peu inquiétant. Pour une fois, j'avais décidé de ne prendre aucune vidéo moi-même, et de me contenter d'apprécier le concert en direct. J'avais prévu de me servir ensuite dans les internets et y prélever les meilleures vidéos pour illustrer cet article... mais aucune vidéo du concert n'a été postée, ni sur Instagram, ni sur Youtube, ni sur Facebook... Il n'y a également aucune photo qui rende hommage à la scénographie, hormis celle-ci peut-être. C'est presque un gâchis de n'en avoir aucune trace ! Tout le monde a voulu profiter au maximum de cette alchimie avec le groupe. Pour retrouver ça, un seul moyen : retourner les voir. 🔵 Facebook :
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