"Avoir un parent connu, ça aide forcément, tu démarres avantagé dans le milieu."
Attendu au tournant, constamment comparé à l'illustre aïeul, vous êtes alors obligé de commencer fort. Deux issues : des moqueries puis la mise au placard (voire au bûcher) ou les comparaisons flatteuses avec l'incontournable mention du complexe oedipien. Les réseaux sociaux attendent la bave aux lèvres, prêts à clasher. Le goût du sang, tout ça. Cela faisait déjà plusieurs années que, périodiquement, je tapais "Noah Yorke" dans le moteur de recherche. Je refusais de penser qu'il ne ferait pas de musique, donc je me posais directement la question de ce à quoi à ça allait ressembler. Et voilà, ça y est, un premier morceau. Pas tout à fait en réalité. Le garçon n'a pas commencé la musique cette année. En 2018, il avait déjà enregistré la batterie pour "Has Ended", morceau de son père faisant partie de la BO de Suspiria, remake du film d'horreur de Dario Argento sorti en 1977.
Noah est un petit malin, il n'allait pas commencer à attirer l'attention alors qu'il n'en est qu'à ses balbutiements artistiques. Il prend un pseudonyme, Alec Owen, et sort plusieurs singles et un album, "L.E.T.H.A.L", composé et enregistré pendant le confinement en 2020. Cet album commence avec un piano-voix très thom-yorkesque pour démarrer, mais ce n'est qu'une feinte, il enchaîne avec des choses bien plus électroniques : trip-hop, jungle, quelques éléments funk, que l'on pourrait englober sous la bannière galvaudé d' "expérimental". Dans cet album électro, il n'y a pas qu'une électro, il y a un patchwork d'influences. J'ai entendu du Mr Oizo sous coke ("Insects"). Par moments, on est même plus proche d'un Avey Tare d'Animal Collective ("Bad Dreams") que d'un Radiohead. D'ailleurs il n'y a pratiquement pas de guitare (sauf dans "The Danger WIth Angels"). Les fans de l'album solo de Thom Yorke, "The Eraser" sorti en 2006 n'auront pas besoin d'un test génétique pour confirmer le lien entre les deux hommes ("What To Say").
Ce projet, cet album, c'était juste pour se faire la main, "pour rigoler" oserais-je presque. Noah a montré qu'il savait enregistrer et mixer et masteriser lui-même, qu'il savait jouer de la batterie et de la guitare, même si son bandcamp ne comporte que 2-3 titres où on peut en entendre. Noah est très électro. Ce point de départ de notre perspective crée donc un contrepied lorsque le jeune homme de 20 ans sort son premier single sur les plateformes streaming, et dévoile "Trying Too Hard", un morceau folk aux couleurs post-grunge radioheadien. Il a la diction flegmatique du père dans ses années "The Bends" (1995-1997), la Fender solide (dans le jeu et le son) d'un Jonny Greenwood (guitariste de Radiohead) avec un instrument qui sonne comme sur "I Will" (Hail to the Thief, 2003). D'ailleurs Jonny approuve, et qualifie cette première sortie de "glorious piece of music". Pas besoin de vous traduire.
La famille Yorke a du talent, on le savait. Le petit frère de Thom, Andy Yorke (au centre sur la photo ci-contre), avait un groupe au début des années 2000, Unbelievable Truth, Leur musique était très touchante, sortait peu des sentiers battus mais avait de une ambition sonore, une identité forte. Le groupe n'a jamais eu le succès commercial de Radiohead, et Andy a pris la décision de quitter le groupe en 2000 pour émigrer en Russie (ah ces artistes torturés, toujours à en faire des caisses).
Avec ce premier single, "Trying Too Hard", je pense au contraire que le neveu d'Andy (Noah, vous suivez ou bien ?) n'essaye pas trop dur. Il ne donne en tout cas pas l'impression de forcer. A seulement 20 ans, il y a déjà beaucoup de maturité dans ses idées et intentions, ainsi que dans l'exécution. A titre personnel, je n'arrive pas à m'empêcher de penser à l'architecture gutturale de Jeff Buckley quand j'entends son envolée finale à partir de 2'00, avec le vibrato rapide qui fleurit en toute décontraction à la fin de chaque poussée. Très beau, et pas du tout la technique de son père.
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- Enzo
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