En janvier 2023, Sylvain Fesson a sorti "Origami", un album dont le flegme très français frise la provoc' sans jamais perdre ni face ni classe (Sylvain Fesson 1, Serge Gainsbourg 0). Cet album est aussi très anglo-saxonnement expérimental du point de vue purement musical, car toujours à la recherche d'un beau, d'un beau inattendu, d'un beau qui ne serait pas facile à fabriquer mais qui resterait facile à écouter. En un mot, de la pop d'apparence prétentieuse comme Radiohead (ce qui fait plus d'un mot, j'en conviens). Mais point de prétention ici, "Origami" est d'une fraîcheur qui n'a pour égal que son ambition, et a été intégralement produit "en indé", comme on dit, avec son compère Vivien Pezerat. Ces génies ont mis 6 ans à faire sortir l'album de leur lampe ("génie", "lampe", tu as compris). Ça, c'est de la gestation. Les éléphantes peuvent aller se rhabiller. Et Sylvain n'en a pas fini, car il a décidé de sortir un clip par morceau et le 7ème clip, "Parfois", est sorti il y a quelques jours.
Quand le morceau commence, on ne comprend pas l'instrument à cordes qui joue. Quand le clip commence, on ne comprend pas les images qui s'enchaînent. Après quelques secondes, comme les yeux qui finissent par s'habituer quand on vient d'un jardin ensoleillé en été pour se rendre dans un intérieur de maison sans fenêtres, on commence à mieux distinguer la forme et les couleurs du propos. Comme un avion qui finit par atterrir, ou plutôt l'inverse, qui décolle vers une fable contemporaine.
Les tickets de caisse qui tombent comme la poussière, la gênance des plans de perceuse dans le mur et de coton-tige dans l'oreille : on comprend qu'il y a des analogies mais il va falloir réfléchir après le clip, et certainement le re-re-revoir (Sylvain l'a fait exprès pour avoir des "vues", quel coquin). Le passage des escaliers est aussi psychédélique que la musique. Oui, le clip a été tourné entre son appartement (on voit même ses WC) et devant son immeuble. Niveau budget, en bon français, Sylvain n'a pas de pétrole mais il a des idées. On sent bien que le clip a été fait avec les moyens du bord, mais nul besoin d'artifices quand on veut tout simplement parler de l'existence : le quotidien d'un citadin qui cultive son monde intérieur pour que le monde extérieur ne l'engloutisse pas comme un tsunami. Rien que ça. Pire que le choc des civilisations : le choc de l'être humain dans/contre sa propre civilisation. Où se réfugier, à part chez soi ? L'aliénation, la violence, passent-elles le seuil de notre porte, nous suivent-elles quand on rentre chez soi ?
Le sport de Sylvain (ou du protagoniste qu'incarne Sylvain - à moins que Sylvain Fesson de la vraie vie ne soit incarné par le Sylvain fictif de la vidéo), c'est de monter et descendre les escaliers, c'est son sport régulier, case cochée ; alors qu'il y a un ascenseur dans le bâtiment. Voilà à quoi ressemble le courage des temps modernes. Dans "Les Temps Modernes", Chaplin montrait en 1936 un apocalyptique futur proche noirci par une révolution industrielle dégénérée qui veut transformer l'humain en pièce d'une grande machine, dans une société qui le persécute et dont il ne comprend rien. Accélération rapide. 2023, groggy, candide, lessivé par ce futur apocalyptique de 1936 qui a essoré la génération précédente (voire même celle d'avant, tout dépend de votre âge, très cher lecteur), un humain dans un appartement rêve d'amour. Il le mérite, il est "tout propre" quand même. Ce futur aurait presque une allure d'épilogue régressif. La décroissance n'est pas un gros mot.
Condamné à être créatif pour trouver mes propres réponses, je songe aux images du clip encore après son visionnage. On a "parfois" envie de rire, mais on a peur des enjeux évoqués subliminalement pour véritablement pouffer. Entre humour et drame, on peut continuer le voyage dans l'imaginaire mi-loufoque, mi-tragique de Sylvain Fesson avec ses autres vidéos accompagnant les titres de cet album, "Origami", trouvable sous différentes formes : - en streaming - en version physique - en vidéos 🔵 Facebook :
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